Déclaration des droits de l’homme: entre progrès et régression – 13 January 2009

Par Bahjat RIZK – L’Orient le Jour (le vendredi 9 janvier 2009)

À l’occasion du 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948-2008), il est important de réfléchir à ce thème majeur, bouleversé comme tout le reste par la mondialisation qui nous oblige aujourd’hui à nous situer économiquement, politiquement et culturellement à un niveau global (et non uniquement national). Je voudrais brièvement passer en revue les activités de l’Unesco et puis aborder le dossier critique présenté par Le Nouvel Observateur à cette occasion (n° 2 300 du 4 au 10 décembre 2008(.

À l’Unesco divers événements ont permis de promouvoir et de réfléchir aux quatre principaux droits relevant des domaines de compétence de l’Unesco : le droit à l’éducation (art. 26), le droit de prendre part à la vie culturelle (art. 27), le droit à la liberté d’expression (art. 19) et le droit de participer aux progrès scientifiques et aux bénéfices de leurs applications (art. 27). Ceci rentre dans le cadre classique de l’Unesco tel que défini par sa charte lors de sa constitution après la Seconde Guerre mondiale (1946). Le temps fort de la commémoration a eu lieu le 10 décembre avec la remise du prix Unesco-Bilbao pour la promotion d’une culture des droits de l’homme (décerné à Stéphane Hessel qui participe à la déclaration universelle avec une mention spéciale au mouvement international ATD quart-monde) et une table ronde intitulée « Vers la mise en œuvre d’une éducation aux droits de l’homme » qui a réuni les 10 et 11 décembre des chercheurs, universitaires et représentants des ministres de l’Éducation de nombreux pays, ainsi que deux expositions : « S’informer sur l’éducation aux droits de l’homme : exposition sur les matériels scolaires » et « L’Unesco en faveur des droits de l’homme : la rue s’affiche » (sur les grilles du siège de l’organisation qui proposait une soixantaine d’affiches de l’organisation qui ont diffusé au fil des ans des messages-clés liés aux droits de l’homme.

Deux autres tables rondes plus politiques ont également eu lieu : l’une le 2 décembre sous le titre « Printemps 1968 : Prague-Varsovie, regards croisés Tchécoslovaquie-Pologne » organisée par les deux délégations permanentes de la Pologne, de la République tchèque et de la République slovaque auprès de l’Unesco, et l’autre le 3 décembre sous le titre « Les droits de l’homme et la diversité culturelle » organisée par la délégation permanente de Cuba auprès de l’Unesco autour du groupe des non-alignés avec des interventions remarquées de l’Arabie saoudite et de la République islamique d’Iran. La comparaison rapide entre les deux tables rondes montre l’évolution historique problématique des droits de l’homme entre le siècle dernier (idéologies sociales) et aujourd’hui (idéologies culturelles). La grande question aujourd’hui est de savoir concilier l’universalisme des droits de l’homme avec le relativisme de la diversité culturelle, autrement dit les droits de l’individu et les droits des collectivités. Je m’étais déjà moi-même penché sur cette question lors de ma spécialisation à l’Université de Londres en 1986 en droit islamique et en droit international public car j’avais choisi de rédiger mon mémoire sur « L’évolution du concept libéral des droits de l’homme » (Evolution of the liberal concept of human rights) en comparant la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen (1789), qui comporte 17 articles, et la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948), qui comporte 30 articles, d’où il ressortait clairement que la première à la suite de la Révolution française concernait uniquement les individus et que la seconde englobait les groupes et les minorités à la suite des massacres de groupes de la Seconde Guerre mondiale.

Art 17 : Toute personne aussi bien seule qu’en collectivité a droit à la propriété

Art 18 : de manifester sa religion ou sa conviction seul ou en commun

Art 20 : Toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifique

Art 23 : Toute personne a le droit de fonder avec d’autres des syndicats

Art 26 : La tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux.

À l’époque toutefois, dans le cadre des États-nations et de la guerre froide, l’enjeu ne paraissait pas aussi primordial qu’il l’est devenu aujourd’hui puisque, avec la mondialisation et le développement des moyens de communication (qui ont fait tomber le rideau de fer), la diversité culturelle, dans le monde complètement libéral, est devenue un enjeu politique planétaire. Le dossier que consacre Le Nouvel Observateur sous le titre « France où en sont tes droits de l’homme ? » aborde la question à travers un sondage, un entretien avec Rama Yade et surtout, dans le cadre des débats de L’Obs, une interview de Robert Badinter, brillant intellectuel, ancien garde des Sceaux (à l’origine en 1981 de l’abolition de la peine de mort en France et de la ratification du texte qui rend possible le recours à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à Strasbourg) et membre du comité de soutien de Human Rights Watch à Paris, et une autre interview de Pascal Blanchard, historien, chercheur au CNRS, auteur de deux essais sur l’avenir d’une société postraciale.

 

Robert Badinter s’alarme de voir les droits de l’homme contestés dans une grande partie du monde (au nom de la diversité culturelle) et trahis en Occident (notamment après le 11-Septembre par les États-Unis avec Guantanamo et le Patriot Act) et dénonce « le double standard, pour nous le respect des droits de l’homme, l’habeas corpus, les Cours constitutionnelles, la splendeur de l’État de droit et pour vous le viol quand ça nous arrange ». Il relève qu’à « l’opposition droits bourgeois-droits socialistes d’il y a cinquante ans a succédé un conflit entre deux conceptions des droits de l’homme : la nôtre, universaliste, et l’autre relativiste ou multiculturaliste qui autorise les États à définir selon leurs critères leurs droits de l’homme ».

Il évoque dans ce cadre la théorie chinoise et celle de l’Organisation de la conférence islamique (qui regroupe 57 membres) qui toutes deux dénoncent l’ingérence occidentale sous le couvert de l’universalité des droits de l’homme. Il est toutefois aussi critique vis-à-vis des États-Unis que vis-à-vis de la France qu’il considère comme « la patrie de la Déclaration universelle des droits de l’homme » et non celle « des droits de l’homme ».

Pascal Blanchard, quant à lui, se penche sur la couleur de peau qui est devenue « source d’identité » depuis que l’Occident s’est mis à connaître et à découvrir le monde. Il analyse tout l’historique et le contenu du rapport racial blanc-noir et se penche sur l’exemple positif des États-Unis avec l’élection de Barack Obama (dont la photo avec la grand-mère kényane illustre l’article), en relevant qu’en France les stars issues des minorités visibles sont encore dans le sport et la culture et pas encore dans le politique et l’économique.

Il apparaît dans ce dossier que l’Occident (notamment les États-Unis), porteur de la vision universaliste des droits de l’homme, a franchi des étapes dans certains domaines et est en pleine régression dans d’autres (où il se sent menacé). Les paramètres identitaires sont constants depuis Hérodote (sang, langue, religion, mœurs) et repris par la charte de l’Unesco (droits de l’homme sans distinction de race, sexe, langue, religion, art. 1) et par la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, art. 2. Ces paramètres, toute société a besoin de les nier pour avancer dans son humanité et son évolution et de les affirmer pour se préserver et renforcer sa cohésion. Le dialogue des cultures et le choc des civilisations constituent dans la mondialisation les deux faces d’une même médaille. Les États-Unis de Bush (qui a lancé à tort la guerre d’Irak) et ceux d’Obama sont les mêmes ainsi que l’Iran de Khatami (qui a lancé l’idée du dialogue des cultures aux Nations unies en 2000) et celui d’Ahmadinejad (qui table sur la bombe atomique et prône de manière archaïque la destruction d’Israël) l’Israël de Rabin (assassiné en 1995 pour la paix) et celui de Sharon (qui a provoqué par sa promenade sur l’Esplanade jouxtant la mosquée d’el-Aqsa, en 2000, un regain inouï de violence à travers une seconde intifada, avec des bombes humaines), l’Arabie saoudite du roi Abdallah (qui essaie de promouvoir le dialogue des cultures et des religions aux Nations unies et la paix au Proche-Orient) et celle d’Oussama Ben Laden (qui a lancé matériellement le 11-Septembre).

Dans tous ces pays (États-Unis, Israël, Iran et Arabie saoudite) il y a deux tendances, l’une vers la paranoïa et la destruction massive et l’autre vers l’apprentissage d’une humanité pacifiée et mature, réconciliée avec elle-même