Don't Miss

La saga brésilienne – Par Roberto KHATLAB – L'Orient le Jour – 29 November 2007

La saga brésilienne : trois vagues d’émigration pour six millions de Libanais

 

Hier des colporteurs appelés « Turcos », aujourd’hui de grands hommes d’affaires, des députés et des gouverneurs (Par Roberto KHATLAB – L’Orient le Jour)

 

Une première vague de 1880 à 1900.
Au cours de la première phase de l’émigration libanaise au Brésil, ces pionniers ont vécu plusieurs expériences aventurières et dramatiques et leurs histoires ont couvert de grandes pages de la littérature du « mahjar ». Ils étaient surtout de jeunes célibataires qui, en arrivant au Brésil, ont trouvé un peuple hospitalier qui leur a permis de se sentir chez eux. L’un des pionniers très connu à l’époque était Youssef Moussa Abdel-Ahad Chidiac, connu au Brésil sous le nom de Youssef Miziara, du nom de son village au Liban-Nord. Il est arrivé à Rio de Janeiro en 1880. Parmi les autres familles pionnières, nous citerons les Dib, Aoun, Yafet, Labaki, Yassine, Sarkis, Saleh…

 

L’émigration libanaise était spontanée, c’est-à-dire sans aucune protection de l’État. Le seul document que les Libanais avaient en main était un passeport turc qui, d’une certaine façon, les aidait à entrer au Brésil grâce à l’accord d’amitié signé en 1858 entre le Brésil et l’Empire ottoman. C’est en raison de ce passeport que les émigrants libanais étaient d’ailleurs faussement appelés les « Turcos » (Turcs) dans toute l’Amérique.
Les premiers émigrants libanais arrivèrent au Brésil avec l’espoir de se constituer une fortune rapide, qui leur permettrait de retourner au pays le plus tôt possible. Ils formèrent des groupes et se rassemblèrent en fonction de leurs villages au Liban. Particulièrement dynamiques, ils ont choisi comme activité principale le commerce du porte-à-porte, autrement dit le métier de colporteur. Au Brésil, on les appelait les « Mascates ». De fait, ce genre de commerce n’exigeait pas d’avoir un important capital et ainsi, de ville en ville, les Libanais se sont éparpillés à travers tout le territoire brésilien. Ils ont surtout suivi les cycles économiques de leur pays d’accueil : exploitation du caoutchouc, de l’or, de la canne à sucre ou du café. En réalité, ils n’ont pas trop travaillé dans ces produits, profitant plutôt de la concentration de la population pour proposer des marchandises de première nécessité et pratiquer l’échange de produits. Le travail était d’autant plus dur, qu’au début ils ne connaissaient pas la langue portugaise et les traditions du pays. Mais peu à peu, ils ont réussi à amasser des capitaux et à monter des affaires, contribuant ainsi à l’éclosion de grandes artères commerciales comme la rue 25 de Março à Rio de Janeiro, la rue da Alfandega et bien d’autres.
Décidés à fixer leur résidence, les Libanais ont fini par s’intégrer à la société brésilienne, formant une colonie que je préférerais appeler « collectivité », du fait qu’ils ne sont pas concentrés dans une seule ville ou une seule région, mais se sont étendus à travers tout le territoire brésilien, de São Paulo à l’Amazonie du Nord, jusqu’au Rio Grande do Sul au Sud.

Une deuxième vague de 1900 à 1950.
Dans cette seconde phase, l’émigration libanaise est devenue mieux structurée. Au cours des deux grandes guerres mondiales, le Liban traversa l’une des plus sombres pages de son histoire et connut la famine, les maladies contagieuses, les disputes politico-religieuses et le blocus maritime. Afin de faire face à cette situation, les émigrés envoyèrent des aides à leurs familles restées au pays. À partir de 1914, le nombre des émigrants libanais augmenta et les statistiques brésiliennes enregistrèrent 45 775 nouveaux arrivants.
Les Libanais du Brésil ne voulaient pas se constituer en groupe d’expatriés, c’est-à-dire des personnes pensant au retour, mais en collectivité d’émigrés ayant décidé de fixer leur résidence. Grâce à leur obstination, leur désir de vaincre et leur tradition ancestrale du commerce, ils ont progressé et sont devenus d’importants hommes d’affaires, s’adjugeant un rôle remarquable dans la production industrielle et sa commercialisation dans les régions les plus éloignées du Brésil. En 1913, ils ont fondé la première Chambre de commerce syro-libanaise à São Paulo. Dans les années 30, les Libanais et leurs descendants commencent à jouer un rôle important dans le secteur industriel, spécialement dans la fabrication de tissus (ils détiennent 50 % de cette industrie), mais aussi dans la production du plastique, du fer, du papier et dans la construction. À titre indicatif, le Groupe Yafet était devenu le deuxième groupe industriel brésilien, après le groupe italien Mattarazzo. Entre 1900 et 1935, les Libanais représentaient 70 % du commerce, 10 % de l’industrie et 5 % de l’agriculture, de la construction ou des services.
Durant cette période de fixation et de stabilité, les émigrés libanais ont fondé des lieux de culte, des clubs (on en compte plus de 300 aujourd’hui) et des centres littéraires.

Une troisième vague commencée en 1975.
Après 1975, on estime à près d’un million les Libanais qui ont dû quitter le pays, s’installant à travers tous les continents, dont l’Amérique latine. À partir de 1991, environ 820 000 Libanais ont également quitté le Liban. Après 1995, avec le ralentissement économique et le chômage, a débuté une nouvelle émigration comprenant en grande partie des personnes qualifiées. L’émigration a donc laissé des marques négatives profondes au Liban, lui faisant perdre des potentialités, des talents et des ressources humaines capables de produire une richesse permanente dans le pays. En contrepartie, il y a eu des points positifs, notamment les fonds envoyés par les émigrés à leurs familles restées au Liban. Cet afflux de capitaux continue encore de jouer un grand rôle dans l’économie libanaise.
Les émigrants libanais ont parallèlement participé et participent encore activement au développement des pays d’accueil. Ils ont certes connu des difficultés, mais les ont surmontées. Aujourd’hui, ils font partie intégrante des sociétés d’accueil et leurs enfants, qui ont fréquenté les écoles et les universités, sont devenus influents sur tous les plans : social, culturel, économique et politique. Au Brésil, en un peu plus de cent ans, ils sont passés du statut de Libanais à celui de Brésiliens d’origine libanaise. Mais ils ont gardé leurs racines nationales, que l’on retrouve dans la littérature du « mahjar », à travers des auteurs tels que Radwan Nassar ou Milton Hatoum. Au niveau politique, certains sont devenus sénateurs, députés, gouverneurs et représentent aujourd’hui 10 % du Congrès national. Forts de quelque 6 millions de personnes (sur les 180 millions que compte le pays), les Libanais constituent la communauté la plus importante au Brésil.

Prochain article : Les relations officielles entre le Brésil et le Liban.