L’urgence d’une commission libanaise sur l’identité culturelle – 25 March 2008

Tous les leaders libanais de différents bords se prévalent aujourd’hui du pluralisme libanais, autant ceux du 8 Mars que ceux du 14 Mars. Comment un principe qui fait donc l’unanimité ne parvient pas à faire accéder les Libanais à une véritable entente ? La réponse est que chacun cherche une solution politique ou économique à un problème structurel qui n’est pas uniquement politique ou économique.

 

L’identité n’est pas uniquement un simple aménagement politique ou économique, elle structure l’être ou le groupe lui-même et touche profondément son affectivité. C’est pourquoi elle doit être rationalisée pour ne pas risquer des dérapages violents. Elle doit être le résultat d’un travail sur soi. C’est ce travail sur eux-mêmes que les Libanais sont appelés à faire et en cela personne ne peut les remplacer.
Il ne s’agit pas uniquement d’alliances variables que des leaders versatiles promènent au gré de leurs intérêts, mais la définition d’un cadre structurel qui passe nécessairement par une réforme éducative et s’applique à tout le système scolaire et universitaire public et privé confondus. Je continue à penser que le pluralisme culturel religieux est à la base de l’identité libanaise et qu’il est un acquis transcommunautaire, un atout pour toutes les communautés. La notion de dialogue des cultures est commune à tous les Libanais. Elle est à la base de la définition de l’identité libanaise. Elle constitue un avantage majeur pour tous les Libanais à l’heure de la mondialisation. Toute réforme politique qui vise uniquement un acquis communautaire est insuffisante et ponctuelle puisqu’elle sera tôt ou tard remise en question par les autres communautés au gré des évolutions régionales et internationales.
Il faudrait avoir un vrai débat sur le concept de pluralisme culturel religieux libanais, c’est la seule raison profonde du vivre-ensemble, c’est ce que les Libanais ont en commun et en partage. Il sera demandé au prochain président du Liban de réunir une commission pour lui faire un rapport à ce sujet et qui préconisera des moyens d’assortir ses conclusions d’une politique éducative. En Occident, à chaque fois qu’un sujet est matière à débat, le président de la République nomme une commission d’intellectuels à laquelle il demande un rapport. Il s’agit là certes d’un avis consultatif, mais qui détient une autorité morale et a le mérite de faire avancer le débat, de faire évoluer de manière structurelle et dynamique la réflexion. C’est ce qui aurait dû advenir après les accords de 1989 mettant fin à la guerre régionale et civile au Liban, lors de la visite du pape en 1997, lors du sommet de la francophonie sur le dialogue des cultures en 2001 (reporté à 2002 après les attentats du 11 septembre), lors de la visite du président Khatami, promoteur lui-même de la notion de dialogue des civilisations en 2000 au Nations unies. Nous avons constitué une commission pour la réforme de la loi électorale, mais cela n’a pas suffi car il s’agit de l’aménagement d’un système politique dont nous n’avons toujours pas identifié la nature, puisque la définition de l’identité culturelle libanaise n’est toujours pas établie (« deux négations ne font pas une nation »).
Nous sommes toujours heureux d’écouter tous les dirigeants libanais se réclamer du pluralisme sans exception pour revendiquer encore plus de droits communautaires, et s’accuser et s’insulter les uns les autres (qui de dictateur, qui d’agent au service de tel ou tel pays extérieur ou ennemi). Seule une intériorisation de la valeur ajoutée du pluralisme culturel libanais peut constituer une base à l’entente libanaise. Cette mosaïque libanaise n’est que fragments épars, éclats et débris si elle ne parvient pas à se saisir dans son ensemble, dans sa globalité. Le travail d’une commission sur le pluralisme culturel libanais est impératif car il donnera un cadre national à ce qui paraît aujourd’hui aux yeux du monde comme une expérimentation hasardeuse et non aboutie, d’un pays virtuel ou improvisé, en constante gestation, une expérience non vérifiée. Comment redonner du sens, comment sortir le politique de l’incohérence, de l’irrationalité, de l’affectivité non maîtrisée, de l’immaturité, de la manipulation émotionnelle ?
Il y a un travail que, malgré les meilleures intentions du monde, ni les Saoudiens, ni les Français, ni les Américains, ni les Syriens, ni les Iraniens ne peuvent faire à notre place, il y a un travail que seuls les Libanais peuvent faire sur eux-mêmes.

Bahjat RIZK

 

Article paru le vendredi 14 mars 2008