L’élection d’Obama et autres conflits politico-culturels – 19 November 2008

Par Bahjat RIZK

Des articles brillants ont été écrits sur l’élection le 4 novembre du président Barack Obama, tant dans la presse libanaise que dans la presse mondiale. Toutefois, ce qui m’interpelle personnellement, partant des paramètres d’Hérodote à un niveau collectif (langue, sang, sanctuaires, mœurs) repris par la charte de l’Unesco à un niveau individuel (droits de l’homme sans distinction de race, sexe, langue et religion), c’est l’identification et la possible négociation des conflits politico-culturels.

Cette élection pourrait amorcer une réconciliation des États-Unis avec eux-mêmes (143 ans après la fin de la guerre de Sécession en 1865 et 44 ans après la reconnaissance des droits civiques de 1964), et peut-être avec le monde (17 ans après la première guerre du Golfe en 1991, sept ans après le 11 septembre 2001 et trois ans après la deuxième guerre du Golfe et la chute de Bagdad en 2005). Donc une fracture culturelle (raciale) à l’échelle nationale et une fracture culturelle (linguistique et religieuse) à l’échelle mondiale.

Il s’agit dans les deux cas de conflits politico-culturels, et les identifier comme tels aiderait grandement à les appréhender et peut-être à essayer de pacifiquement les résoudre.
Tout d’abord au niveau du conflit culturel racial à l’échelle des États-Unis. Il est clair que cette élection symbolique met fin à trois siècles d’esclavage et plus d’un siècle de ségrégation raciale. Le fait de voir un homme noir accéder à la plus haute charge de l’État (44e président), issu d’une minorité visible, est une reconnaissance absolue de l’égalité des races et une révolution culturelle non violente qui a bouleversé les États-Unis, les démocraties occidentales et la planète entière. Cela est dû à plusieurs facteurs : tout d’abord, la lutte de la minorité noire aux États-Unis qui culmine avec le président Abraham Lincoln (assassiné en 1865) jusqu’au pasteur Martin Luther King (assassiné en 1968) en passant par la résistance passive de Rosa Parks (1964) et autres militants violents ou silencieux. Les larmes du pasteur Jesse Jackson, compagnon de Martin Luther King et ancien candidat à la présidence des Etats-Unis, ont été un des arrêts sur image les plus parlants à l’annonce de l’élection. Il faudrait également ajouter l’apport des communautés hispanophones et asiatiques (émergence de nouvelles communautés politico-culturelles) qui ont contribué à ce processus d’identification, et surtout la personnalité interculturelle de Barack Obama qui a su allier tant un électorat blanc que noir (il est à la fois dans la revendication pacifiste et dans la parfaite intégration ; sa mère est blanche d’origine texane, mais son épouse est noire issue d’une familles d’anciens esclaves ; la grand-mère blanche qui l’a élevé meurt de manière providentielle la veille de l’élection et l’épouse battante est sommée de se plier à un modèle conciliant et affable ; elle avoue elle-même publiquement avoir pour modèle Laura Bush plutôt que Hillary Clinton).
Par ailleurs, George W. Bush a lui-même contribué indirectement à cette élection en nommant en 2001 Colin Powell puis Condolezza Rice aux postes-clés visibles de l’administration américaine (secrétaires d’État). Il faudrait souligner au passage que 24 heures chrono qui met en scène un président noir des États-Unis s’est inspiré directement du modèle de Colin Powell (qui, quoique républicain, a soutenu publiquement Obama). Il reste bien sûr finalement, et c’est le catalyseur le plus important, la personnalité exceptionnelle de Barack Obama qui a su se présenter en rassembleur, en homme de dialogue, en médiateur culturel et dans lequel les Blancs ont vu un métis ayant intériorisé les valeurs de l’Amérique profonde et les Noirs un métis issu de l’immigration afro-américaine. Barack Obama a su prendre le meilleur des deux cultures et transcender au niveau national, un patrimoine commun, celui du fondement des États-Unis d’Amérique qui, en 1776, avec les déclarations d’indépendance de George Washington, a ouvert la voie à une des plus grandes démocraties au monde, mais qui était restée entachée jusqu’à l’élection d’Obama du « péché originel de l’esclavagisme ». Le choix des vice-présidents Sarah Palin (femme jeune, battante) et Joe Bider (Blanc catholique, expérimenté) ont également diversement pesé dans le choix final.
Il y a toutefois d’autres divisions politico-culturelles (ethnico-linguistiques ou religieuses ou sexuelles) que les États-Unis seront appelés à dépasser tant au niveau national (hispanophones et liens avec le Mexique et minorités sexuelles) que mondial (rapports avec la Russie, la Chine et le monde arabo-musulman).
Certes, le conflit avec la Chine et la Russie est pour le moment latent (un peu déclaré par rapport au Tibet – Chine – et aux Kosovo, Géorgie, Ukraine – Russie –). Toutefois, les États-Unis devraient prendre en considération ces deux conflits latents même si, pour le moment, la Russie et la Chine sont désireuses de rejoindre le modèle occidental tant économique (libéral) que politique et culturel (droits de l’homme). Elles ont toutefois à cœur leur intégrité territoriale. L’Europe est appelée à jouer un rôle de médiateur efficace dans ces deux conflits latents. Il reste le conflit presque déclaré avec le monde arabo-musulman (dans ses diverses composantes, Afghanistan, Pakistan, Irak, Iran) et qui est venu se greffer sur le conflit initial israélo-arabe (dans lequel les États-Unis sont à la fois juge et partie) et qui prend souvent l’allure d’un conflit Orient et Occident, et même monde islamique et monde chrétien. Il s’agit là d’une autre fracture culturelle (religieuse) et qui prend de plus en plus d’ampleur avec la mondialisation. La référence hâtive et rapidement démentie au père kényan musulman (Hussein) de Barack Obama a été un autre révélateur : Barack Obama, sitôt élu, a choisi en premier comme chef de cabinet un juif engagé (Rahm Emanuel) ayant effectué son service militaire en Israël.
Sans porter de jugement préalable, il est clair que les choix culturels révèlent des engagements politiques, et qui sont soumis eux-mêmes à des constantes culturelles. Plutôt que les nier, il faudrait apprendre à les identifier et à les négocier.

Article paru le samedi 15 novembre 2008 dans l’Orient le Jour